Quoi de plus banal qu'un tube de dentifrice ? Cette même question ? Un parapluie ? Un bout de chewing-gum de couleur indéfinissable collé sous un pupitre scolaire ? Je pose la question, et avant même d'attendre votre réponse me hâte de le faire à votre place, séance tenante.
À cette question, la première de la liste, Jean-Michel Gratte-Papier, comptable de son état — dont le voyage de Charleville-Mézières à Bucarest en véhicule automobile avait été financé par l'empereur du caoutchouc lui-même, Harvey Firestone, pour prouver au monde entier la supériorité des pneus de son entreprise — répondit, en 1928, juché sur un escabeau, en plein milieu de la salle des festivités du Collège national Saint-Sava (Colegiul Național Sfantul Sava), à Bucarest. Il était beau, le Jean-Michel, le nez aquilin, la moustache frétillante et la cravate de travers. Il avait l'air intelligent, cet air qu'on parfois les marins bretons, la visière de la casquette juste au dessus des yeux, vêtus d'un gros pull en laine bleu nuit, un verre de chouchen à la main, la gitane maïs aussi à la main, mais l'autre, assis à une table en bois massif qui en a vu passer des capitaines et des matelots alcooliques, dans un petit bistrot d'un village de pêcheur :
Vous me prenez de court, mais je vais vous répondre.1) Avant toute chose, êtes-vous vraiment sûre et certaine, ma chère Henriette Yvonne Stahl de la banalité de cette objet ? Remarquez l'aérodynamique du tube, sa gracilité, sa prise en main, sa force de retenue, et, n'ayant pas peur des mots : sa sagesse ! Non ? Eh bien, je vais vous répondre : rien. Je vais même vous répondre derechef : rien. Bien. Quelqu'un peut m'aider à descendre ?
Cette réponse en valait bien une autre. On s'en contentera faute de mieux. En attendant, on parle, on parle et les dentistes de l'espace continuent leurs basses besognes dans l'infinité du cosmos. Brrr !