Les yeux ont la forme de petites sphères. Ils se portent le plus souvent par deux, sauf chez quelques excentriques, borgnes, créatures légendaires ou charlatans ésotéristes, du moins pour la plupart des vertébrés. Ils existent en plusieurs couleurs, même chez les personnes atteintes de daltonisme.
L'œil ne sert à rien sans le cerveau sauf s'il est question de typographie ou si on vous demande de l'avaler tout rond au Kirghizistan. Il permet de voir, de cligner, de pleurer ; on peut aussi faire les gros yeux et c'est à peu près tout. Ce microviseur de l'encéphale n'enregistre rien, il ne fait que capter. C'est donc le cerveau encore lui, qui fait tout le boulot, dans l'ombre d'une cave humide, pendant que les deux caméramans1) du vivant se la coulent douce à l'extérieur.
Les poëtes considèrent les yeux comme le miroir de l'âme. C'est très joli sur le papier, mais tout comme les anglicismes mal choisis, ça n'a pas beaucoup de sens. Certes, les trouvères s'en moquent bien – s'il fallait donner du sens à leurs vers, ils se seraient fait écrivains naturalistes – mais que cela ne m'empêche pas de m'insurger. Des armes ! Des canons ! Embastillons les mâche-laurier ! Étêtons l'élan lyrique !
Les métromanes, ça a les cheveux longs et gras, le sourire béat et ça n'a jamais entendu parler d'un peigne : l'usage du miroir leur est inconnu. Si l'âme a un miroir alors, logiquement, elle devrait être celle qui le regarde ; elle devrait donc, eh oui, se situer non pas dans le corps attaché aux deux sphères qui nous intéressent mais à l'extérieur de celui-ci. Rien ne l'interdit, il est vrai, mais la poésie en prend un sacré coup. Ça sent l'escroquerie, la marchandise frelatée. Si c'est ça le rêve que nous vend les poëtes, qu'il le reprenne, je n'en veux plus, et tant pis s'il ne me reste plus que mes yeux pour pleurer ; mes braves petits !