Le Pape, de sa tour d'acier, fulmine des bulles. La scène est toujours la même : une fois le document promulgué, il se frotte les mains en ricanant, attend que ses sbires aient quitté les lieux ; seul, il se drape de sa longue cape et disparaît dans un passage secret ; puis, il prend place à bord d'une navette qui l'emmène dans un tunnel obscur qui débouche sur un repaire souterrain, juste en dessous de la basilique Saint-Barthélemy-en-l'Île, sur le Tibre ; animé d'un désir de conquête, il prend place dans son grand fauteuil en cuir, face à une carte géante du monde où clignotent des petites lumières indiquant la position de ses agents de l'ombre et, à nouveau se frotte les mains — il aime bien ça, que voulez-vous.
En effet, le souverain pontife mène une double vie. Évêque de Rome le jour, il revêt le costume du fantasque et mystérieux Barbanchu le Ligure la nuit. Malfaiteur universel, il vole les plus grandes œuvres dans les musées les mieux protégés, extorque des sommes considérables aux grandes fortunes de ce monde, fomente des révolutions, passe au-dessus du tourniquet du métro sans ticket, et s'amuse à poser des pièges à l'inspecteur Hector Bravache, de la Sûreté, en laissant toujours derrière lui sa signature : une alexandrin écrit en gothique sur un bout de papier. L'as des as de la police arrivera-t-il un jour à mettre la main sur le plus grand bandit de notre siècle ? Aucune idée ; c'est d'ailleurs pour cela que je vous pose la question. Si vous connaissez la réponse, n'hésitez pas à me le faire savoir.
Pendant que ces deux adversaires jouent au chat et à la souris, la bulle apostolique se fait connaître tout autour du globe. Les réactions ne se font pas attendre. Les ecclésiastiques s'extasient devant tant de pertinence et de finesse d'esprit, les fidèles se grattent la tête en tentant de comprendre le sens du message, les critiques littéraires parlent de mystification. L'archevêque de la cathédrale Saint Joseph de Mopti, réagit d'abord comme ses pairs : c'est drôlement bien écrit ; j'attends avec impatience la réaction de mes ouailles quand je vais leur expliquer ça. Puis, après avoir relu le texte dans son entièreté, le religieux découvre au milieu des amphigouris et du charabia un alexandrin qui lui rappelle quelque chose. Mais oui ! Le vol de la vasque de Neptune à Palerme ! C'est le message laissé par ce gredin de Barbanchu !
Vous l'aurez compris, l'archevêque n'est nul autre que l'inspecteur Bravache, détective de génie, qui, lui aussi, mène une double vie, triple même, si on prend en compte sa carrière de chanteur d'opérette en Argentine. Est-ce le début de la fin pour le vicaire de l'Oint ? La question est rhétorique, cette fois-ci, car la réponse est non.