La steppe

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Le kiwi

Sur les îles néo-zélandaise, et seulement sur elles, vit un petit animal aptère et ovipare, le kiwi. Il est le gardien de la forêt, la sentinelle sylvestre, le cerbère des bois. Sa faible vue le force à porter lorgnons, ce qui le rend digne quoiqu'un peu guindé. Dépourvu de glande uropygienne, il ne peut produire de vitamine D. Il n'est pas non plus riche en vitamine C, malgré une croyance répandue, sans doute par confusion avec la groseille de Chine.

Pour ne pas être dérangé dans son gardiennage nocturne, cet oiseau utilise une autre identité. Il se fait appeler aptéryx, porte un imperméable, un chapeau mou et imite la voix d’Humphrey Bogart — à moins que ce ne soit l'inverse. Caméléon, il peut changer d'identité en un clin d'œil. Après la ponte, il doit ruser, car son œuf, incrusté d'or et de pierres précieuses, est l'objet de toutes les convoitises. La pègre en charge de l'île où il se trouve, envoie Peter Lorre avec des frisettes lui dérober sa progéniture. Après une folle course-poursuite en voiture, le voilà acculé, au bord d'une falaise. Le tonnerre gronde. Il commence à pleuvoir. Le bandit le braque avec son pistolet et s'avance vers lui. Le kiwi glisse légèrement sur le gravier ; une poignée de cailloux tombe quatre-vingts mètres plus bas. Fin de la projection. Les lumières se rallument. Les spectateurs sortent de la salle.

Une semaine passe. Le public s'installe. On passe les actualités, puis c'est le silence. Ça toussote un peu dans la salle. Musique intrigante. À l'écran, notre volatile fait face à nous. Son nom s'affiche, tremblotant, puis c'est au tour des autres acteurs et du mystérieux Kakapo, le chef de la pègre, dont le visage est caché sous un capuchon du plus bel effet. L'épisode démarre immédiatement à la fin de la scène de l'épisode précédent. L'aptéryx, plutôt que de tomber dans le vide, se jette sur son assaillant. Il tente de lui prendre son arme. Une lutte commence. Les voilà à rouler par terre et à salir leur complet veston. Le kiwi a finalement la main — façon de parler, bien entendu — et, de son bec, pousse l'arme qui tombe en contrebas. Elle explose en atteignant les rochers léchés par les vagues de la mer déchaînée. Un coup de poing de l'ennemi fait reculer notre héros, groggy. Va-t-il tomber ? Non ! Le malfaiteur glisse dans la boue, tombe, et chute. En arrivant en bas, il explose, lui aussi.

Avant de prévenir la police de l'île, le kiwi doit vérifier une dernière chose. Il se dirige vers la voiture du bandit, ouvre avec son bec la boîte à gants et y trouve l'œuf : c'est un faux. Il sourit. La caméra fait un gros plan sur lui, l'occasion d'une dernière réplique : « Ki-wi, ki-wi, ki-wi ! ».