Avez-vous remarqué que le lorgnon est passé de mode ? L'élégance du monocle, l'intellectualité du binocle ne font plus vendre. Le peuple consommateur leur préfère les lunettes dont les branches se fixent sur les oreilles, et pas n'importe lesquelles, celles de la personne qui les portent — à la fois les lunettes, les branches et les oreilles. Les mettre nécessite une certaine dextérité. Porter des lunettes demande donc, à la fois plus de talent, et plus d'argent, car en complexifiant l'objet, on augmente son coût.
Le lorgnon ne demande qu'un œil, et dans le cas du binocle un nez au moins un peu saillant. Ces attributs, fort heureusement, étaient ceux de la plupart des personnages illustres à la vue faible qui ont fait de la science ce qu'elle est aujourd'hui. Edward Scarlett, par exemple, celui qui eut l'idée des branches de lunettes, en portait peut-être (des branches et des lunettes), ce qui en fait un très mauvais exemple ; mince !
Avec l'âge, viennent les problèmes de vue. Il est heureux que le nez et les oreilles ne tombent pas à l'automne de la vie, comme les feuilles des arbres caducs. Cela poserait problème mais il est à parier qu'une personne inventive trouvera sûrement, à un moment ou un autre, une solution. Dans un futur lointain, lorsque les feuillus auront acquis l'ouïe et l'odorat et que des organes sensoriels leur pousseront sur le tronc, il faudra à nouveau repenser l'objet : sera-t-il possible de poser les branches (des lunettes) sur les branches (des arbres) ? L'objet sera à nouveau complexifié. Il coûtera davantage.
Lorsqu'un nouvel œil apparaîtra sur le front de nos descendants il faudra à nouveau repenser l'optique. Je passe sur l'élargissement du spectre visible et l'impossibilité de certain de profiter des films en Trimersiovision (brevet en instance). Les prix exploseront, tout comme l'offre cinématographique, les arbres voyants ayant, à n'en pas douter, eu l'idée de développer un cinéma végétal entre-temps. Comment voulez-vous faire des économies dans ces conditions ?