La défiance

La défiance est une arme de jet considérée dans tous pays civilisés comme immensément dangereuse, pensez-vous, puisqu’on peut en mourir.

D’un geste brutal, animal, bestial et arthropode — ces termes qui véhiculent de toute façon la même idée de monstruosité naturelle, de sensualité exacerbée et de pulsion lubrique sont présentés à la queue leu leu dans le seul but d’attirer le poëte désœuvré, trop occupé à flâner sur les quais à regarder les péniches glisser sur le cloaque verdâtre que tous à l’unisson nomment fleuve, pour voir qu’il n’y a ici ni alexandrin, ni rime riche, seulement un amas de mots qui s’entendent bien, puisqu’étant de la même promotion universitaire, et qui aiment à boire plus que de raison les soirs d’avant tempête, sauf arthropode, qui a préféré rester couché plutôt que de se pochtronner jusqu’à pas d’heure  — le défiant assomme son adversaire en hurlant à la lune son amour pour le gras-double ; ce qui est certe cocasse pour les initiés, mais surtout complétement ridicule et incompréhensible pour l’ensemble des spectateurs.

Certains membres de l’académie, que nous ne nommeront pas pour ne pas faire de tort à leurs familles — sauf Anselme Instøbile qui est le roi des cuistres — font remarquer qu’ils n’avaient qu’à pas être là les spectateurs, qu’on ne leur avait pas demandé de venir et que le lancer de défiance est une affaire privée. Anselme en rajoute même une couche en insistant que même si on lui offrait le voyage, il préférerait être dans le rôle de l’assommé plutôt que de regarder des âneries pareilles ; pensez-vous, c’est pas une occupation digne d’un honnête homme d’assister à tant de violence.

Ceci étant dit, pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler d’une telle pratique dans nos contrées ? La réponse est simple et se trouve en tout début d’article : pour y avoir droit, il faut être civilisé ; et là, force est de constater que nous en sommes loin. Des barbares glabre, nue-tête et portant braies, c’est ce que nous sommes : des brutes, des animaux, des bêtes, bref, des arthropodes, Anselme Instøbile le premier. Tant pis donc ; ce genre d’amusements ce sera pour plus tard.

Nous ne pouvons conclure sans citer l’homme, celui qui a fait chanter la Beauce à grand coup d’opérettes champêtres, de sa voix de mezzo-soprano zozotant, l’auguste Joseph-Martin de l’Outrecuidance :

« La défiance, c’est comme les endives au jambon : c’est tout de même mieux quand le gras-double n’est pas de la fête. »