La cenelle d’aubépine (Cratægus) ressemble à une petite pomme, a d'ailleurs un goût assez proche, et malgré cela certaines personnes insistent pour l’appeler « poire à cochon », allez savoir pourquoi. Cette poire, qui n'en est pas une, fait le lien entre le monde réel et irréel. Vous allez me demander « pourquoi ? ». Oui ? Eh bien non, car je profite de votre étonnement pour répondre : tout simplement parce que c'est un faux fruit, une irréalité, une vue de l'esprit. On ne se nourrit pas en mangeant de la cenelle, pas plus qu'en se gavant de bonbons à l'aubépine (山楂餠) ou de Tanghulu (糖葫蘆) ; non : dans les deux derniers cas, on devient même la proie facile des dentistes de l'espace.
Consommer ce fruit qui n'en est pas un, c'est donc ouvrir un pont entre notre monde et l'antémonde. La personne qui consomme de la poire à cochon fait une expérience extracorporel qui inverse, non seulement sa vision du monde, mais aussi son ouïe, du monde, ou son odorat, toujours du monde : le dessus devient dessous, la droite, gauche, le survêtement, sous-vêtement, Michel Sardou, Caruso et le rôti de veau, tarte à la rhubarbe. Tout ça dans un tout petit fruit, qui de fait en est vraiment devenu un, par inversion.
Avons-nous fait le tour de la question ? Quelqu'un veut-il rajouter quelque chose ? Vous madame, peut-être ? Est-ce dangereux ? Que fait le gouvernement ? Non madame, je n'essaie pas de corrompre la jeunesse avec des idées subversives. La cenelle d'aubépine, en plus de tout ce qui vient d'être dit, aide à la digestion, rend le poil soyeux et élimine l'excès de sébum. J'en mange une poignée tous les matins. D'ailleurs y a-t-il des volontaires ? Oui, vous jeune homme, que je n'ai jamais vu de ma vie, vous m'avez l'air en très mauvaise santé. Vous êtes muet, dites-vous ? Ah là là ! Et vous êtes paralysé ? Sautez sur l'estrade et venez me rejoindre. Tenez, cher assistant : buvez donc cette décoction à base de cenelle ! Comment vous sentez-vous ? Mais c'est un miracle. Un miracle !