La bile noire

La bile noire est un mystère. N'ayant aucune idée de ce dont il s'agit, la rédaction, ne craignant ni le plagiat ni le pléonasme, se voit contrainte et forcée d'aller voir ailleurs si la définition s'y trouve : « Bile noire ou mélancolie, Sorte d'humeur que les anciens imaginèrent par suite d'une fausse observation, et dont ils plaçaient le siége dans la rate. » nous dit le défunt éditeur Maurice Lachâtre de sa voix d'outre-tombe, qui, malgré son état, ne fait pas, à proprement parler, partie des anciens. Il faut aller plus loin. D'abord, dans le temps : chevauchons notre machine à remonter le temps et galopons, à l'envers, jusqu'à l'antiquité. Ensuite, dans l'espace : la Ionie suffira bien, et cette fois-ci, nous y irons en avion, ce qui pose problème, vu que nous sommes à présent dans une époque qui ignore le transport aérien par plus lourd que l'air. Qu'importe ! Nous marcherons, ou alors, tant qu'à galoper, nous y irons à dos d'équidé. Cela nous fera le plus grand bien. Et ça tombe bien, puisque le sujet d'aujourd'hui est en rapport avec la force des chevaux.

À l'époque, les anciens étaient encore jeunes. L'un d'entre eux, eut l'idée un jour, alors qu'il disséquait un cadavre au grand air — les loisirs étaient rares à l'époque – de faire la liste des fluides qu'il contenait. Il découvrit ainsi l'atrabile là où sa se dilate, soit dans la rate. « μελαγχολία ! » s'exclama-t-il en alphabet grec. Il mit immédiatement en place toute une théorie bancale basée sur les humeurs. Le succès allait être immédiat — à deux ou trois mois près. Tout le monde allait bientôt s'arracher ses traités de médecine basés sur ces mauvaises observations : il allait toucher le pactole, qui, par chance, coulait non loin du là et peut-être même se baigner dedans, si le temps le permettait, une fois qu'il aura appris à nager.

Se sachant grand médecin, il tenta, avant d'aller faire un grand voyage pour tremper sa main dans l'eau d'une rivière, de ramener à la vie le défunt dont le corps sans vie gisait devant lui. Il ne faisait pas grand chose le macchab, à part gésir, mais ça, il le faisait très bien. L'homme de science commença par une saignée. Le résultat fut peu concluant, mais n'aggrava pas son état. Il ôta un à un les organes internes et les mis dans des bocaux étiquetés par ses soins — la philatélie et la tyrosémiophilie étant inconnu en Grèce antique, l faisait collection d'abats. Une autre bonne saignée. Le défunt était à présent un peu dégonflé et le soleil de Ionie l'avait asséché. L'individu ne revenant toujours pas à la vie et comme il se faisait tard, l'anatomiste le mis dans une grande boîte qu'il entreposa dans un lieu sec. Il reprendrait son travail dès qu'il aurait le temps. Hélas, la rédaction de la théorie des humeurs lui prit tous son temps il ne revint jamais en ce lieu car il ne savait plus où il se situait. Il alla bien, par contre, se baigner dans le Pactole quelques années plus tard, où il se noya, car il avait également oublié d'apprendre à nager.

Hippocrate (Ἱπποκράτης), un autre ancien mais plus jeune — l'étymologie de son nom vous éclairera sur la fin mystérieuse du premier paragraphe — qui était son disciple, reprit le flambeau : après avoir lu tous les ouvrages de son maître, découvrant que ce dernier n'avait pu finir la ressuscitation d'un cadavre, il monta une expédition jusqu'à la source de la rivière Pactole. Là, il rencontra la vaticinatrice de Lydie qui le désenvoûta et lui prédit de la chance au jeu, la réussite aux examens et si ta femme est partie, tu vas la voir revenir dans les trois jours, discrétion assurée. Ainsi protégé, il redescendit vers la côte afin de tenter de retrouver le mort. Après une demi-journée de recherche, il abandonna, car l'effort ça creuse et qu'il était l'heure du casse-croûte. Il ouvrit un bocal étiqueté « Foie », qu'il avait pris chez son maître en prévision de son périple et le fit cuire avec des petits oignons.

Après une sieste bien méritée, il reprit sa quête. Le mort, ayant senti qu'une partie de ses viscères venait de finir à la poêle, bondit de sa boîte, parcouru la distance qui le séparait d'Hippocrate à la vitesse d'un zombie famélique, soit pas très vite, et après trois jours, parvint à son campement. Il n'était pas content. Le père de la médecine, ravi de voir qu'il n'avait plus à chercher accepta de lui donner une consultation gratuite en échange de son pardon. Il posa comme diagnostic la mélancolie et lui conseilla le repos, un repos sans rêve de plusieurs éons.