Le jeu du roi pendu par les pieds

Sous ce titre vendeur en diable se cache en fait deux choses totalement différentes l'une de l'autre voire antithétiques ou antinomiques dans la plupart des cas.

Plongeons-nous dès à présent dans l'histoire de la première de ses deux activités, que nous nommerons, pour ne pas nous mélanger les pinceaux, « Le jeu du roi pendu par les pieds ». Cette majestueuse activité de plein air est née au cœur d'une région fort peuplée et à la pointe de la technologie de son époque, soit Golconde, la grande, l'impétueuse, l'audacieuse, la magnifique, la triomphante, la si extraordinaire qu'aucun adjectif de la langue française ne pourrait lui être accolé sans ternir son éclat. Sauf peut-être la Paumotou avec un peu d'imagination, si l'on se décale un peu plus vers le sud-est de quelques milliers de kilomètres.

Vers le début du XVe siècle, le grand maître à penser du département de télougou classique de l'université Chalukya Chola de Golconde, l'auguste mais néanmoins méprisé Ernesto Satyanarayana Ramadasu (ఎర్నెస్టో సత్యనారాయణ రామదాసు), découvrit le pouvoir extraordinaire d'une pierre ramassée au hasard d'une de ses nombreuses promenades d'après-diner. Ce minéral avait la faculté d'emmagasiner les sons environnant pour ensuite les restituer à l'identique lorsqu'on appliquait sur celui-ci un de ces nombreux cailloux transparents si abondant dans la région. Bien conscient de la portée scientifique de cette découverte et du bénéfice à en tirer, Ernesto Satyanarayana Ramadasu se retira du monde pour mener toute une série d'expérience dans une grotte gardée, si l'on en croit les chroniques de l'époque, et nous n'avons aucune raison d'en douter, par un dragon à trois têtes de huit mètres de de haut.

Après douze ans d'études poussés, dans des domaines aussi variés que l'acoustique, l'aérodynamique, la physique proto-quantique et la préparation des pancakes, Ernesto sorti enfin de son isolement. Les animaux de la forêt, ses seuls amis pendant tout ce temps, l'accompagnèrent un bout de chemin alors qu'il se dirigeait droit vers l'université pour leur montrer, à tous ses ignares, de quoi il était capable. Cette chaleur animale lui mit du baume au lèvre. Le sourire au cœur, il dit adieu à ses amis et s'enfonça dans les ténèbres du savoir.

Il soudoya un ou deux gardes et parvint, après trois mois d'attente dans le hall du palais, à parler au sultan. L'invention qu'il présenta au souverain était dans ses grandes lignes, proches de nos vinyles actuels à quelques détails près : trois vitesses étaient possible, vingt-quatre, quarante-deux et cent vingt tours ; le diamètre d'un disque allait de un à trois mètres ; aucun enregistrement ne comportait d'accordéon. Voyant enfin un débouché à cette masse de diamants inutiles dont la terre stérile de la région n'avait que faire, le sultan acheta immédiatement les droits exclusifs de cette invention.

Hélas, Ernesto avait oublié de dire au revoir au dragon, ou à l'écureuil gris — les sources se contredisent sur ce point — qui lui tenait compagnie depuis douze ans. L'énorme bestiole, ou petit monstre selon les sources, lui mangea les viscères et pendit le sultan par les pieds, pour que ça les lui fassent. Ce dernier resta en état de choc jusqu'à sa mort et, dans sa folie, en vint à décorer son palais de ces petits cailloux transparents ridicules. La mode étant ce qu'elle est, l'idée se répandit dans le sultanat, puis plus loin, encore plus loin, toujours plus loin, un peu plus en haut à droite, jusqu'à inonder le marché mondial.

Les écureuils gris, écœurés par une certaine presse qui leur mettait tout sur le dos depuis trop longtemps, tentèrent de prouver leur innocence dans cette histoire en réinventant le tourne-disque, qu'ils offrirent gracieusement à l'humanité, puis décidèrent de repartir vivre dans les arbres, loin de la fureur du monde, tout comme l'avaient fait leurs cousins les dragons à trois têtes trois semaines plus tôt.

Le terme est, quant à lui, resté pour parler d'un souverain aux jambes ficelés que l'on attache de telle manière que, cul par dessus tête, il ne touche pas le sol, et ce pour l'amusement des plus jeunes.

La seconde activité, que nous nommerons « Le jeu du roi pendu par les pieds » est d'un tout autre ordre. Il s'agit d'un sport d'équipe ou stratégie et duplicité font bon ménage. Une partie des joueurs, les captieux vêtus d'un élégant short crème, se passent une balle, de préférence ronde ou au moins dodécaédrique, pendant que l'autre partie de l'équipe, les parpaillotes, joue de dextérité pour faire sortir des écureuils gris d'un chapeau melon. Ce n'est pas sans rappeler, ô tu as dû le remarquer lecteur attentif, le jeu de la balle et du magicien, sauf qu'ici les points ne sont pas comptés par lot de trois ; à part bien sûr lors du dernier quart d'heure. L'équipe vainqueure gagne le droit d'écouter un air de musette joué par la fanfare de l'université Chalukya Chola de Golconde, et en particulier l'air du lézard trismégiste. Ça fait rêver tout de même.