« Béé Béé ! » chantait la chorale ovine lorsque le Grand Mouton vint sur son charriot de feu tout droit des nuages moutonneux. « Béé Béé ! » lorsque, fier et agile, il mis trois pattes au sol la quatrième, l'antérieure gauche, levée vers l'infini de l'espace. Il devait parler, il devait révéler l'ultime vérité caprine aux habitants de la Terre ; c'est ce qu'il fit, et avec entrain mais sans une certaine tension qui faisait frémir ses oreilles :
« Bâââââh ! », et déjà la foule, qui d'énorme devenait gigantesque au fur et à mesure des arrivées, sentait en elle le souffle de la gloire divine. « Bâââââh, bââââh ! ». Les flashs des photographes crépitaient, les crèpes des cuisiniers bretons fendaient l'air — car il faisait faim et le discours semblait être parti pour durer. « Bâââââh, bâââh bâââh ! ». Il était beau, il était musclé, huilé comme un pugiliste turc, sous le soleil dont les rayons chauds faisaient fondre les midinettes brebis ; ou bien n'était-ce pas le soleil mais son aura graisseuse.
« Béé béé ! » lui répondirent en chœur la masse des bovidés. Le message, dans sa grande beauté, dans sa clarté majestueuse, avait su capter leurs cœurs.
Puis vint la révolte. La révolution Aron et tout ce qui s'ensuivit.
Le Grand Mouton vit ce qu'il avait fait. Il se félicita, prit place dans sa carriole enflammée et reparti vers de nouvelles aventures, non sans avoir laissé dans l'âme de chaque capriné une empreinte indélébile, même en utilisant du white spirit. En hommage à ce grand personnage, une île artificielle fut construite près de la Lémurie et on lui donna le nom de « pays du grand mouton blanc », Aotearoa, actuelle Nouvelle-Zélande.
En attendant son retour prochain, mais c'est une personnalité très prise, il faudra être patient, les moutons des quatre coins du globe diffusent son message d'amour et de paix en prosélysant à qui mieux mieux grâce au porte-à-porte, aux ondes radios courtes, de huit heure à dix heures et aux ondes alpha en après-midi.