Une fois n'est pas coutume, parlons d'un sujet qui fâche : le falbala, la bagatelle, le colifichet, bref, la fanfreluche. Il en faudrait d'avantage, peut-être pas partout et tout le temps mais au moins ici et là, par petites touches. Mais le paraître, cette terrible contrainte sans substance qui nous oblige à la médiocrité esthétique est partout, à chaque instant à dicter sa loi. Il faut être présentable, mettre sa chemise dans le pantalon avec pli au milieu, la ceinture bien visible, tout comme le gros ventre qu'elle enserre, la tocante surdimensionnée et hors de prix au bras, et lisser sa moustache avec un air malicieux. Il faut faire honneur à son rang, sa classe, sa catégorie, son taxon. Il en va de la survie de l'espèce, du genre, du régiment.
Eh bien non ! Aujourd'hui Rajiv Chaturvedi en a assez. Il va s'acheter deux jolis rubans de tissu bleu et égayer son apparence. L'un ira sur sa tête, noué à une mèche de son abondante chevelure, et l'autre, sans doute autour d'un bouton de chemise ou sur son porte-documents ; il ne sait pas encore.
Il entre dans le magasin de bijoux fantaisies. Grave erreur ! Le voilà prix d'une frénésie d'achat. Il ne veut plus deux mais trois cents rubans, trois grosses poignées de boucles d'oreilles, et deux kilos de bracelets de cheville. Son excès dépensier l'épuise. Il ressort de la boutique, en sueur. Il parcourt une vingtaine de mètres en titubant avant de perdre connaissance et s'effondrer sur le trottoir.
Il se réveille allongé sur un charpai, entouré de ses collègues de bureau — M. Rahul Tandoor B.Sc. (Fisheries), Mohesh Prakash, le bout-en-train du service comptable, ainsi que la charmante mademoiselle Arti Patel — et du docteur Mukesh Chopra. Ce dernier lui tâte le pouls, se gratte le nez et lui annonce sans ménagement aucun qu'il vient tout juste de frôler la mort.
Rajiv, tout honteux, comprend, grâce aux conseils avisés du docteur, que la fanfreluche, ce n'est pas pour les faibles ; il faut y aller doucement. Mlle Arti lui attache un joli ruban bleu métallisé sur le dessus de la tête en faisant un beau nœud et lui promet de s'occuper de son apparence à partir de maintenant. Après une transition osée du cameraman, nous voilà sur le flanc d'une montagne suisse, avec nos deux amoureux chantant en playback une chanson mièvre au milieu des chèvres.