Le juriste et les oies cendrées

Ce matin là, Lily le palmipède, se rendit compte en se réveillant que le dit compte n'y était pas : ses congénères, qui pourtant était nombreux la veille au soir, ne se retrouvait plus que deux au matin : les deux jars Gaston et Gontran. Cette oie cendrée (anser anser) savait que quelque chose ne tournait pas rond. Elle s'inquiéta. Elle interrogea immédiatement les deux mâles qui n'en savait pas plus qu'elle. Les autres les avaient abandonnés ? Impossible ! Le code d'honneur coutumier des oies veut que l'on n'abandonne jamais un camarade lâchement au petit matin. Gontran déplia mentalement la carte du parcours de migration depuis la Suède : ils étaient bientôt au bout de leur voyage. Encore un petit effort, et ils pourraient hiverner au bord du lac du Der et profiter de la vie en trempant des biscuits roses de Reims dans du Champagne.

Où étaient-ils ? À Laon, assura Gontran. Qu'allait-il faire ? Tenter de retrouver les autres. Ils se dirigèrent vers la ville, située à deux kilomètres à vol d'oiseau — Gontran était formel et Lily, après avoir vérifié avec un mètre ruban, confirma cette distance  — en criant tout le long de la route pour tenter de retrouver leurs camarades. Ils avaient appris l'art du cri puissant du grand maître hibou grand-duc scandinave, Gudrún, soit plutôt une grande-duchesse, n'en déplaise aux taxonomistes.

Dans la ville, ils furent accueillis par le nouveau maire, Lucien l'orignal, ce qui n'est pas banal, fraîchement élu. Comment un animal canadien peut-il devenir représentant du pouvoir exécutif d'une commune française mérite une explication, mais hélas je n'en ai aucune à vous donner. Toujours est-il que Lucien, ou plutôt Lulu comme aimait à l'appeler ses administrés, les aida dans leur recherche. Mais laissons un instant de côté les aventures du trio de palmipèdes et partons plus au nord, voir ce que fait, au même moment, un autre animal important au récit, j'ai nommé Léo.

Léo, vous l'aurez deviné, est un félidé ; un lion d'Asie ((Panthera leo persica) pour être précis. Il n'est pas élu, lui. Non. Il est juriste. En cette fin de matinée, il reçoit dans son cabinet une centaine d'oies qui se sont retrouvées déplacés de plus d'une centaine de kilomètre au nord de Laon lorsque l'enchanteur — mais mauvais chanteur — Alain le magnifique, se pensant seul loin de la ville, expérimenta son sort de transport instantané. Fallait-il porter plainte ? Que disait la loi ?

On alla expressément chercher le magicien. Il pleuvait, les routes étaient inondés et la camionnette des gendarmes finit dans le canal de Saint Quentin. Les pauvres bougres y vécurent des aventures sous l'eau qui méritent bien tout un chapitre, mais cela risquerait d'alourdir le récit. Nous en reparlerons ailleurs. Voyant que cela prenait trop de temps, on demanda l'aide du loup de Lille, un vieil animal à l'aspect patibulaire, aux crocs jaunis par l'excès de chique et au poil terne, mais un animal rapide et efficace. Il partit prestement à Laon où il retrouva très vite Alain le magnifique. Il le traîna par la cape jusqu'à la capitale des Flandres. Il avait bien travaillé. Il partit se coucher.

Récapitulons :
À Laon, où l'élu est Lulu l'élan, Lily l'oie hulula.
Léo le lion, lu la loi à Lille.
Louis, le loup laid, alla au lit.
Et Alain, lui, est là.