Léontin Praxis

Jeune homme à l'allure molle, Léontin Praxis est mort vieux, comme tout jeune homme qui se respecte. On sait assez peu de chose de lui, si ce n'est son amour pour le trictrac et les escargots au rhum de la Guadeloupe. Dans son encyclique Divini Mystace, le pape Gélase Ier en fit un portrait en pied mais allongé sur le papier. Voici la traduction approximative de l'extrait qui nous intéresse :

[…]

23. Pour ne point trop alourdir ce texte moralisateur en diable, je vais, pas plus tard que tout de suite, vous narrer une anecdote cocasse dont j'ai le secret. Il s'agit d'une aventure apocryphe du lion de Némée, rien de moins.

Nul ne sait par quel étrange hasard Léontin Praxis, parti chercher l’aventure en terre d’Égypte à dos d’ânesse, se retrouva, un jour où le brouillard opaque aurait avalé tous ronds les rayons du soleil s’ils avaient eu la moindre valeur nutritive, en pleine plaine anatolienne. Et, aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est précisément ce jour-là que le lion de Némée choisi pour aller porter la bonne parole au Satrape du coin en le dévorant à la sauce ravigote. Le félin avait, il est vrai, une conception erronée du terme bonne parole. « Ce clown cacochyme, se disait l’animal, bien que vieille carne au goût insipide, mérite son sort. Ne se dit-il pas descendant d’Héraclès qui pourtant, et j’en suis la preuve vivante, jamais n’exista ? Va encore pour son goût immodéré de la pacotille, du bijou fantaisie et du décadent chic bulgare ; mais de quel droit se permet-il de se dire détenteur d’une mienne crinière alors qu’il ne porte en coiffe qu’un ridicule toupet en poil porcin ? »

L’époque, précisons-le, était lointaine de la nôtre. Ni spahi, tête brûlée turc ou bachi-bouzouk égaré, n’avait encore mis les pieds en Asie Mineure, sans doute par peur d’anachronisme. Ne voyant rien à plus de deux mètres, ou, pour être plus proche de la vérité, un mètre cinquante, Léontin eut la mauvaise surprise de se trouver nez à truffe avec ce gros chat, dont l’amour du genre humain se ratatinait de plus en plus à mesure que le temps passait. Sur l’instant l’ânesse mourut d’effroi. Notre homme paralysé par le choc d’une telle rencontre chuta comme le cadavre de sa monture l’instant d’avant. Sans surprise, l’énorme animal s’irrita et l’envoya valser d’un coup de patte bien placé. Léontin, groggy atterrit non sans mal sur une branche haute d’un grand olivier, à deux pas de là.

Reprenant ses esprits, notre bonhomme, le dos en compote et les membres flasques, déplorant la perte inattendue de sa monture, se redonna du courage en se félicitant d’une telle rencontre : « Je suis sur la bonne piste, se dit-il, car si ce n’est le Sphinx, c’est donc son frère ». Puis il s’adressa directement à son assaillant en ces termes : « Eh, l’animal ! Est-ce bien ici l’Égypte ? À ton allure pharaonique je pense que tu es de Thèbes, je me trompe ? ». L’arbre où il trônait, tel un abricot mou sur une pièce montée ratée, avait une hauteur respectable et c’est une chance car le lion enragea d’un coup. Pouvait-il savoir, dans sa folie destructrice, que la cité-entreprise Thèbes jouissait dorénavant d’une reconnaissance internationale et qu’une succursale avait vu le jour de l’autre côté de la mer ? Pour lui, il s’agissait d’un affront à la mémoire de sa sœur, morte, trop jeune, des excès de turpitude d’un Grec égaré ; Œdipe qu’il s’appelait, le vaurien.

L’animal tenta, en vain, d’atteindre la cime de l’olivier. Que la nature était ingrate de lui avoir donné ce corps de félidé pataud ! S'il avait été homme, il aurait pu se munir d’une scie passe-partout pour mettre à bas ce monument végétal. Les heures passèrent. Fatigué, le lion abandonna sa proie et reparti porter la bonne parole de son estomac au vieux gouverneur qui l’accueillit finalement assez bien ; le satrape n’avait plus toute sa tête. Léontin quant à lui, comprenant son erreur, rentra chez lui à toute allure et se jura dorénavant de ne plus faire que des voyages organisés.

Mais revenons à nos moutons. L'éternel félicité a donné à l'Église la mission de conduire l'humanité. Ce n'est pas rien quand on y pense […]