L'anaconda

L'anaconda est un serpent ovovipare, il n'est donc ni ovipare, comme le tricot rayé, qui n'est pas un chandail mais bel et bien un serpent, ni ovovovipare, comme le cardigan à pois, qui est à la fois un reptile et un vêtement — et un animal imaginaire.

L'eunecte est, lui aussi, un serpent ovovipare, puisque c'est le même. D'autres éléments le caractérisent : une peau squameuse, un sale caractère, un penchant pour la sieste d'après-repas.

Mamam Dilo lui ressemble comme deux gouttes d'eau, est c'est assez normal, puisque c'est, une fois encore, le même individu. « Yucamama ejusdem farinae », disent les rares latinistes cocamas du Pérou — de nos jours, on en compte deux, dont un imposteur, qui est en fait breton et pas latiniste pour un sou.

Ce serpent n'aime pas la compagnie. Il n'hésite pas à avaler toute personne ayant la mauvaise idée de sonner à sa porte, que ce soit un capybara, deux prosélytes et leur littérature apocalyptique qui recherchent leur ami imaginaire ou la voisine qui vient lui demander d'arroser ses plantes pendant trois semaines parce qu'elle part en vacances aux Fidji ; il n'en est pas question : elle restera dans son ventre.

Lorsqu'il ne dort pas, l'anaconda est la monture du Baron Samedi. Il traverse la jungle à vive allure, à défaut de pouvoir galoper. Les jours de marché, c'est Maman Brigitte qu'il transporte de la Guyane jusqu'à Haïti par un passage connu de lui seul, des deux personnes qui le chevauchent à tour de rôle et de ses nombreuses copies conformes. Certains zoologues — au nombre de deux, dont un imposteur, qui est en fait latiniste — ont émis l'idée que les eunectes ne sont, en fait, qu'un seul et même individu, le boa démultiplié de la fin du monde, celle qu'essayent de nous revendre les deux prosélytes du paragraphe du dessus.

L'anaconda est un animal savant. Il ne fait pas des pirouettes pour amuser les enfants sur un air d'orgue de Barbarie. Non : il connaît l’entièreté de l'encyclopédie ; il en possède tous les volumes en trois langues. Ces épais ouvrages ont été laissés devant sa porte par, je vous le donne en mille, des vendeurs en porte-à-porte, qui ont fini étouffés puis avalés par cet animal intellectuel atrabilaire. Il est le gardien du savoir ésotérique. Par contre il n'arrose pas les plantes. La voisine aurait dû le savoir.