La totale décadence

Total décadent ! est sans aucun doute l'interjection la plus usitée par nos contemporains, et nous même, contemporains de nos contemporains. Total décadent ! par-ci, Total décadent ! par-là : en quelques phonèmes, toute la palette des émotions animales, et végétales lorsque les sons sortent de la bouche d'un de nos compagnons vert en pot, y passe. Pour autant faut-il englober l'ensemble du lexique langagier dans cette seule expression, pourtant si précise, de totale décadence ? Non. Pourquoi ? D'abord parce que d'autres expressions existent, certes moins jolies mais plus correct du point de vue du sens. Acheter un croissant chez le boulanger et oublier de prendre la monnaie n'est pas total décadent, c'est fâcheux ; découvrir les joies de la baignade en eau infestée de requins blancs l'est encore moins, c'est irréfléchi.

« Allons donc ! », s'exclame le Béotien, mais alors, quel sens donner à la totale décadence ? Si l'on en croit l'entrée du Dictionnaire des mots sublimes de la langue françoise, édition de 1987, de l'académie dramaturgique de Martelange, le mot « décadence » viendrait directement du vieux-latin decadentia, soit, étymologiquement parlant, « tomber par dix fois à la renverse ». À moins d'avoir le dos solide, la décadence a donc le fâcheux effet de briser son homme, sa femme, ou dans la plupart des cas recensés, sa civilisation. Si on lui ajoute le mot « total », l'expression s'englobe dans un tout unitaire et précieux, une perle nacrée de symbolique comme dirait le poète.

Une fois la connaissance étymologique acquise, le sens profond de l'expression se découvre dans sa douce plénitude. Plus besoin alors de lui donner une définition qui ne refléterait qu'imparfaitement son importance dans le langage.