La réduplication

La réduplication est l'art ancien, magique et antique, de la répétition des mots ou d'un de leurs éléments – oui, oui. Le langage, à peu de frais, peut donc étendre son domaine, puisque, et c'est là qu'est la magie, il puise en lui-même pour faire du neuf. Pour cela, il a tout de même besoin de personnes locutrices, qu'il a à sa botte et qu'il aime malmener, en les forçant, entre autres, à suivre ses règles de grammaires absconses. Sans elles, point de parole, des gribouillis à la place d'écrits, des gestes incompréhensibles ; sans lui, aucune communication, aucun échange d'information : bref, un vrai tohu-bohu – bel exemple, soit dit en passant, de redoublement.

Une fois l'individu parlant choisi, le langage s'y introduit pour y pondre un concept. Bien confortablement installé dans le coton de l'encéphale, cette abstraction, d'abord œuf puis volant, s'y développera, éclora et volera – dupliquons gaillardement -ra – de ses propres ailes. Éphémère de la pensée, il mourra dans la soirée, peu après la ponte dans un ou plusieurs autres hôtes : les hôtres. Le néologisme est charmant, gardons-le. Mettons-le dans la bibliothèque de notre cerveau, jusqu'à côté du génome de l'abstraction susnommée, qui servira à créer des clones, par centaines, voire par milliers, car nous avons tendance à nous répéter.

Mais la réduplication ce n'est pas que ça : c'est aussi la poésie. « Poésie-shmoésie ! » pourrait nous rétorquer Edgar Faure, vigoureux immortel du fauteuil 18 de l'Académie française, dégainant son épée. « Au jour du jour d'aujourd'hui, ce n'est pas de la poésie, c'est une tentative d'assassinat de la langue. En garde, faquin ! ». Il pourrait, mais il ne le fera pas, car c'est un lâche – la pique est méchante et gratuite, mais profitons-en, justement, vu que ça ne coûte rien. J'aime dire du mal des académiciens.