Qui n'a jamais entendu parler d'Émile Fourcade ? Qui ? Vous, madame ? Non, bien sûr ! Vous peut-être, monsieur ? Ne riez pas, la question est sérieuse.
Décrivons-le : c'est un petit homme, à la barbe fournie, au sommet du crâne légèrement dégarnie, assez mince, aux allures de dandy et à la vue basse. Pour ce qui est de sa tenue vestimentaire, il laisse ça à la grande philosophe métaphysicienne de l'impossible, Josiane Marchand, sa compagne, daltonisme aidant. Une chose est sûre : il aime le tweed et le nougat.
Son activité principale est l'écriture. Il écrit sur tout, tout le temps, partout, dans le cadre de son travail, de ses loisirs, lors de ses épisodes de somnambulisme. Il est fréquemment verbalisé par la maréchaussée, qui n'apprécie guère ses feuillets, format A2, collés sur les murs où il est défendu d'afficher, loi du 29 juillet 1881. Il occupe actuellement la chaire d'histoire préstructuraliste de Brest, est l'auteur de dix-huit traités théologiques, historiques, algébriques, antipatriotiques et j'en passe et des meilleurs, une centaine d'article scientifiques, sportifs ainsi qu’un recueil de poésies télougoues.
C'est un savant. Il sait. Demandez-lui l'heure, le temps qu'il fera demain à Tachkent ou le fonctionnement du cycle de Krebs et il vous répondra, parfois de manière très laconique — « pas beau » (le temps à Tachkent), « très joli » (le cycle de Krebs) — et parfois grâce à une démonstration prolixe comportant de nombreuses digressions. Vous souvenez-vous de cette semaine exténuante de septembre, où il fit l’exégèse complète du Narasiṁha Purāṇa (नरसिंह पुराण), en s'aidant de schémas, illustrations faites à la va-vite et troupe d'acteurs amateurs parce que son boulanger, hindou, voulait le piéger en lui demandant le nom du quatrième avatar de Vishnou ? Depuis, l’homme lui livre tout les matins, à son domicile, en pain, viennoiseries et prières d'intercession.
Ce puits de science ne sait, malheureusement, pas comment mettre en pratique tout ce savoir. Il se plaît à donner des cours et à écrire, sauf quand l'encre et le café lui font défaut : il prend alors son bâton de randonnée et part sur la presqu'île de Kermorvan, prendre l'air marin. Vous pouvez l'y croiser les fins de mois, de 17h à 19h30, seul ou accompagné de ses disciples, jeunes universitaires aux cheveux filasses, portant des pantalons bordeaux en velours côtelés, des vestes avec coudières ou de gros pulls à col roulé bleu marine, le mégot à la lèvre, le même ton hautain et la même tête à claque que les élèves de licence d'antiphilosophie wittgensteinienne.