La carotte sauvage (daucus carota) est un légume-racine indompté et vertueux — car on lui prête de nombreuses vertus. Ce qui la distingue de la carotte domestique, c'est avant tout deux choses : son lieu de pousse — pas ici — et l'absence de la médaille de commandeur du Mérite agricole au veston. Étant un légume, lent et paresseux, elle ne vient pas quand on l'appelle — les légumes sont d'un prévisible ! Il faut donc, si vraiment on veut la déterrer, d'abord quitter le confort de sa demeure, partir loin de la civilisation humaine et la chercher longuement.
La vie d'une carotte domestique est d'une rare banalité. Oui, certes, elle passe six mois de l'année aux enfers, du moins si l'on en croit les paysans du Doubs, mais qu'y fait-elle ? Elle y pousse, bien au chaud et loin des dents des léporidés. Son histoire mérite-t-elle vraiment d'être racontée ? Mérite-t-elle sa médaille ? Ses vertus, certes nombreuses, doivent-elles être chantées, du soir au matin, dans les almanachs ou les articles santés des magazines qui s'entassent sur les tables basses des salons de coiffure ? Je ne le pense pas. C'est une feignasse, et pis c'est tout. Mais ne me méprenez pas : le légume a son utilité. Il est beau, il est excellent en purée avec des pommes de terre et une noix de beurre et il n'y a rien de mieux qu'un halva de carotte pour finir un repas. Mais si on doit le comparer à son cousin sauvage, franchement, le doute n'est plus permis : c'est à la campagne qu'il faut se rendre. Alors, une fois encore, habillons-nous chaudement, car l'hiver approche, et partons à pied ou en véhicule vers l'inconnu champêtre, là où les escargots batifolent, les châtaignes dégringolent et le champignons consolent.
La sauvage carotte est, selon l'Évangile nucléaire, n'en déplaise aux paysans du Doubs, le parèdre du grand lapin (gloire à ses grandes oreilles !). Celui-ci la dévore chaque soir ; chaque matin, elle redevient elle-même, ce qui est un vrai tour de force. Son pouvoir d'auto-régénération est une de ses nombreuses vertus. Je ne ferais pas ici la liste de ces dernières : les almanachs en sont pleins. Je garde mon papier et mon encre – de jus de carotte – pour des récits plus rocambolesques que la pousse d'un légume racine oisif. Ça lui apprendra !