« Taratata ! » fait le clairon. « Rantanplan ! Rantanplan ! » lui répond le tambour. Ce n'est pas encore l'aurore et déjà, il est temps de se réveiller. La troupe se rassemble dans la cour de l'école militaire. Le colonel général l'y attend, droit comme un cierge, le képi enfoncé sur ses oreilles, qui dépassent de par et d'autre du couvre-chef et lui donne un air à la fois bêta et majestueux. Il restera dans cette position tout le long de la cérémonie, se permettant par deux fois d'acquiescer lorsque le centurion lui demandera l'autorisation d'abord de passer en revue les nouvelles recrues puis de donner l'ordre de hisser le drapeau. Le mât est aussi droit et immobile que le colonel général. Le clairon retentit, suivi par le flageolet et la vielle à roue. Le moment est solennel. La musique agaçante. Le centurion retient ses larmes. la main sur le cœur, à droite, signe soit d'un situs inversus ou d'une méconnaissance de sa propre anatomie. Lui seul et toutes les personnes lui ayant tâté la poitrine savent.
Le drapeau monte lentement, à exactement 5 cm à la seconde. L'huissier officiel de l'école militaire est là qui veille, un chronomètre à la main, la droite, l'autre étant placée nonchalamment dans la poche gauche de son veston. La pose est élégante, quoique assez peu conventionnelle. Le roulement de tambour suit le mouvement du drapeau, l'ascension, toujours plus haut : le bruit des baguettes sur la membrane d'abord sourd devient plus sonore, jusqu'à prendre le dessus sur les autres instruments. Le flageolet se dégonfle, la vielle à roue meurt en un long râle gênant. Le clairon, qui sait que sa survie en dépend brâme une dernière fois, en vain. Une fois le drapeau fixé, le « Rantanplan ! Rantanplan ! » cesse.
Pendant une longue minute de 70 secondes, le silence règne, l'assemblée respectant ainsi les défunts instruments. La prêtresse en charge du temple de la mort et de la destruction de la caserne entre en scène. Elle s'avance majestueusement jusqu'au colonel général dans sa grande robe pailletée émeraude — le colonel sait s'habiller avec bon goût. Elle tient dans ses bras Kiki, le bichon de l'école militaire qui n'aime ni l'armée ni les instruments à percussion. La jeune femme commence son oraison funèbre, accompagnée par le lent roulement saccadé du tambour : « Plan, plan, plan, planplan… ». Le moment est solennel. Le centurion fond en sanglot et Kiki n'est pas content et se met à aboyer la complainte de Médor le chien errant du Louvre, le héros des Trois Glorieuses, le grand révolutionnaire canin. L'huissier sort un carton rouge de son veston et Kiki doit rejoindre le banc de touche. Il n’a que ce qu’il mérite.