Le cirque Blancplancart

Le cirque Blancplancart, du nom de son fondateur, le célèbre équilibriste Nivelin Blancplancart, n’est pas une entreprise comme les autres. Le directeur est élu à la majorité des deux-tiers plus deux voix tous les trois ans. La première fois, c’est Bonbon le chimpanzé qui fut choisi, mais devant l’échec de son mandat — mais on a pas idée de prendre un chimpanzé comme directeur de cirque — il ne fut plus jamais réélu. En général, c’est un contorsionniste ou, à la limite, un avaleur de sabre qui est choisi, le métier demandant pas mal de souplesse. Il va sans dire que les clowns, ces parias du monde du chapiteau, n’ont aucune chance, les enfants des artistes, qui ont eux aussi le droit de voter, en ayant une terreur folle. Josepha Carbone, la femme caoutchouc, en est actuellement à son quatrième mandat.

Le spectacle est, selon le prestigieux Guide des spectacles itinérants (hebdomadaire vendu exclusivement par correspondance, au prix modique de 76 Francs, aux pupilles de la Nation et médaillés militaires) extraordinaire. Voici le compte-rendu du tout dernier spectacle :

[…] Après les otaries acrobates, ce fut au tour des six frères Zinzolino de faire leur numéro. Ils tentèrent quelques roulades assez lamentables et leur pyramide humaine s’écroula avant d’être finie. Mais le public était bon enfant et leur excusa leur piteuse performance, ce qui en soit est époustouflant vu leur nullité. Ensuite vinrent les crocodiles cracheurs de feu, Jean Crachouille, le roi du crachat, qui transperça une plaque de métal placée à dix mètres de lui par la seule force de sa salive et enfin Hercule, l’homme le plus fort d’Afrique du Nord, dont la puissance est contenue dans sa moustache. Ce dernier fit une trentaine de pompes et courra un bon quart d’heure autour de la piste avant de soulever deux éléphants en équilibre sur son menton. Les enfants étaient ravis. Puis ce fut le tour de Jacques Rébus, le prince des clairvoyants, qui fit savoir à une dame, assise au troisième rang, que le collier de perles qu’elle avait perdu deux jours auparavant avait en fait été porté au clou par son mari qui avait une dette de jeu et, à un petit monsieur barbu, que sa montre avait deux minutes de retard, ce qui fut confirmé devant huissier assermenté.