Louis-Napoléon Bonaparte

Louis-Napoléon Bonaparte, fâché avec le vieil homme tournant la roue du temps pour une histoire de rendez-vous raté avec la destinée, s’est trouvé propulsé, alors qu’il était en pleine élection présidentielle, à notre époque, lui et toute son équipe de campagne. En attendant qu'ils repartent tous là où ils étaient pas plus tôt qu'il y a 139 ans, Badinguet s'est mis en tête de gagner cette élection coûte que coûte, peu importe l'époque. Je ne voterai pas pour lui, non seulement à cause de ses idées dépassés d'un bon siècle mais aussi parce que je n'ai jamais vu un tel parachutage.

Ci-dessous le tract de campagne du bonhomme à la moustache :

Louis-Napoléon Bonaparte, candidat de l’avenir

Madame, Mademoiselle, Monsieur, mes chers compatriotes, mes administrés, mes amis de toujours, mes copains, mes camarades de classes, Françaises, Français, Belges, Mexicains, Swazilandais, mes chers concitoyens, mes potos, travailleurs, travailleuses, le peuple,

Je suis le président qu’il vous faut !

Fort d’un glorieux passé et d’une passion dévorante pour le pouvoir je souhaite que demain vous, peuple de France, puissiez faire le bon choix, celui du futur lumineux, de la joie, du progrès, en votant pour moi.

Épaulé par une équipe qui gagne, c’est à dire, entre autres, le parti de l’ordre de mon ami Adolphe Thiers, l’armée, l’association française de généalogie impériale et le club de bridge de Béthune, je remettrai debout une France qui rampe, qui geint et qui se plaint. Mon projet s’articule en huit grands axes, un peu comme un corps d’octopode de Zil-Blâh :

1. L’ordre

La grandeur de la France, ce pour quoi tous nous envient, c’est avant tout l’ordre. Et, lorsque je vois cette horde de Hell’s Angels, déferler sur notre beau pays, attaquant nos filles, nos compagnes, et nos sillons vampires buveurs de sang, je ne peux que m’indigner. C’est ignoble ! Ma douce Eugénie, belle et indomptable est tout autant offusquée que moi, que vous électeurs potentiels et intelligents, devant tant de crasse et de laisser aller. Il faut faire cesser cette totale décadence. Je mets donc en garde le chef de ce gang à moto, le dénommé Henrik Ibsen, qui tente de nous faire croire en sa respectabilité en jouant les dramaturges de talents — laisser moi rire — et ses alliés, les écrivaillons métalleux norvégiens dont le vil Bjørnstjerne Bjørnson est la tête pensante. Chers compatriotes, vous avez devant vous, soyez-en certain vos paupières sont lourdes, un ennemi farouche du désordre à cheveux longs.

2. L’annexion de l’Autriche et de la Prusse

La mise en place d’une paix durable en Europe n’est possible que si le terreau où elle se développe est sain. La paix c’est un pétunia. Afin de mettre un terme aux guerres fratricides qui nous déchirent, je propose de mettre une bonne fois pour toute une raclée à l’Autriche et à la Prusse, chiendent du continent. Sachez qu’en votant pour moi, grand stratège militaire, vous ne choisissez pas seulement le meilleur président mais aussi le meilleur chef des armées, celui qui ne se trompe jamais. N’oubliez pas mes nombreuses victoires lors de tournois prestigieux de bridge, tel que la coupe du Pas-de-Calais, le trophée de Vendée et… euh… toutes les autres, hein.

3. La conquête du Mexique

Le Mexique est une terre qui souffre, une nation détruite, loin de la civilisation française et du pays qui porte le flambeau du progrès triomphant, la France. Eh bien il faut que cela cesse; il faut qu’enfin le peuple du Mexique accède à la société du bonheur de la consommation à outrance. C’est donc purement par humanisme, et aussi sans doute pour profiter d’une main d’œuvre bon marché et servile, qu’il me semble vital d’en faire la conquête. Certains me demanderont « Pourquoi le Mexique ? ». À ces gens je répondrai que le Mexique n’est qu’une étape choisie par mon doigt sur un globe terrestre. Celui-ci était d’ailleurs, pour l’anecdote, tombé une première fois sur le désert azoïque du sultanat d’Aridistan, quelque part par-là, qui s’est révélé, selon les mauvaises langues, être un fiasco d’un point de vue économique.Il n’empêche qu’aujourd’hui les quatorze habitants de ce pays, et leurs trente moutons, n’oublions pas les moutons, font partie de notre grand empire colonial.

3. La conquête du lexique

Le lexique est un domaine qui souffre, détruit par le laisser-aller de nos jeunes générations et de professions en mal de reconnaissance. Il est temps de redonner de la vrai valeur à des mots nobles tels que « tircomédon », « carabistouille » et d’en inventer de nouveau pour enrayer la dérive louchébem. On puisera donc sans vergogne dans l’héritage grec, romain, gaulois, celte et tonkinois. Allemand aussi sans doute puisque l’héritage de l’Autriche et de la Prusse sera bientôt le nôtre.

5. L’arrestation de tous les descendants de communards

Grâce aux conseils éclairés du brave président du parti de l’Ordre, Adolphe Thiers, la politique de pacification de la société que je souhaite appliquer dès mon élection se fera en douceur et sans aucun heurts. Je parle ici aux braves gens, non pas à ses trublions, ses apaches sans foi ni loi, fainéants dans le sang, qui détruisent les avantages sociaux que nous leur avons octroyés, tel que le repos dominical jusqu’à quatorze heures, la semaine de quatre-vingt heures avec possibilité de faire des heures supplémentaires, à condition de payer les coûts de fonctionnement additionnels pour l’entreprise, charbon électricité… et bien sûr l’âge du travail minimum passé de six à huit ans pour les enfants. Ces ingrats, et ceux qui les soutiennent, méritent d’être traités comme des moins que rien. J’urine sur leur personne.

6. La disparition du calendrier de l’année 1870

L’année 1870 est une erreur chronologique. Il ne s’est et il ne se passera jamais rien en 1870. 1870 c’est un peu un quinze août qui dure tout une année. Et un quinze août ne peut pas s’étaler sur une année entière, tous les logiciens vous le diront ; les cordonniers aussi d’ailleurs mais c’est un autre débat. Le vieil homme en charge du temps a été contacté par mon équipe pour rayer définitivement de la mémoire humaine cet épisode tragique de l’histoire. Plutôt réticent au départ, il s’est rangé tout entier à nos idées de renouveau du temps qui passe suite à une discussion musclée mais courtoise où il a perdu deux dents. En contrepartie, cependant, j’ai cru comprendre qu’il allait changer autre chose dans ma destinée. Je me demande bien quoi.

7. L’adaptation de la ville à l’automobile

L’idée est neuve et elle le sera tant qu’elle n’aura pas pris de la bouteille. L’automobile c’est l’avenir ; l’automobile c’est la liberté, l’ailleurs, le tremplin vers l’infini. Il est temps de montrer notre supériorité aux autres piétons, bipèdes, quadrupèdes non motorisés. Quel grand penseur a dit un jour qu’il fallait adapter la ville à l’automobile ? J’ai fait mienne la politique de ce génial visionnaire et je sais que mes concitoyens en feront de même.

8. Vive le charbon !

Dans un but de progrès accéléré, je libérerai les énergies productrices de nos entreprises nationales en facilitant l’utilisation plein pot du charbon, qui remplacera aisément d’autres énergies soit-disant plus propre mais surtout plus coûteuses. Le charbon est une matière noble enfouie dans le sol de notre territoire qui mérite notre respect. Car le charbon français excelle face aux vulgaires copies du camp d’en face. Preuve de la malhonnêteté de l’étranger: aucune nation, si ce n’est le jeune royaume de Belgique, et encore qu’une moitié, n’utilise le bon et vrai mot de « charbon ». Quel ersatz veulent-ils nous servir derrière leur « coal » et autres « steenkool » ?

Chers compatriotes, l’heure est importante — dix-sept heures seize pour être précis — et le temps de la décision est venu. Demain, un nouveau président devra être choisi par le peuple de France pour jouer les timoniers sur le bateau du destin national. Ce batelier, aucun doute n’est possible, c’est moi, Louis-Napoléon Bonaparte, le candidat de l’avenir, L’avenir nous appartient, il est temps de faire valoir nos droits  !

Louis-Napoléon Bonaparte,

Louis Adolphe Thiers,

Ma Cocotte,